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Première -Thème 2 - De la socialisation de l'enfant à la socialisation de l'adulte

Qu'est-ce que la socialisation?


Les comportements humains c'est-à-dire nos manières d'être, de dire, de ressentir, de penser, de communiquer et d'agir en société nous nous viennent pas naturellement (comme le montre N. Elias, nous avons plutôt appris à réprimer nos fonctions naturelles et leurs manifestations). Nous venons au monde dans des sociétés complexes auxquelles nous devons nous adapter pour être intégrés.
C'est la socialisation qui fait de nous des êtres sociaux capables d'être acceptés par les autres et de jouer un rôle dans la société.


Cette vidéo présente les éléments essentiels que nous avons vu en cours.


Nous avons défini la socialisation comme le processus d'apprentissage et d'intériorisation des normes, des valeurs et des rôles qui régissent et rendent possible la vie en société. Ses deux fonctions essentielles sont de favoriser l'adaptation de chaque individu à la société et de maintenir un certain degré de cohésion entre ses membres.


La socialisation primaire est la socialisation de l'enfant qui permet d'acquérir les bases nécessaires à la vie en société. Ses acquis sont difficilement remis en cause. La socialisation secondaire permet d'acquérir des normes, valeurs et rôles propres à des activités particulières et spécialisées (associations, métier). Elle prolonge et complète la socialisation primaire et ses acquis peuvent être remis en cause plus facilement.


Normes, valeurs et rôles: le contenu de la socialisation


•    Les valeurs sont des idéaux collectifs, elles définissent ce qui importe et est valorisé dans une société. C'est au nom de nos valeurs que nous émettons des jugements sur les comportements des autres et sur les nôtres, c'est elles qui nous permettent de distinguer le bien du mal. Les valeurs nous paraissent toujours être personnelles mais nous ne les inventons pas, on nous les transmet. Les valeurs sont des principes abstraits. 


•    Les normes découlent des valeurs. Ce sont des règles, formelles (loi) ou informelles (politesse), qui prescrivent ou interdisent certains comportements. Le non respect des normes entraine des sanctions négatives (justice, réprobation, moquerie), leur respect peut donner lieu à des sanctions positives (Légion d'Honneur, Félicitations, bon point...). Ces sanctions jouent un rôle dans le respect des normes mais généralement, nous n'avons pas l'impression d'avoir à adopter des comportements qui nous sont imposés car nous les avons intériorisées, ce sont devenues des règles auxquelles nous tenons et que nous faisons éventuellement appliquer par les autres. (relire le travail d'AP sur Durkheim). 
 
•    Le rôle est ce qu'on peut attendre d'un individu en fonction de son statut social (sa position dans la société, généralement liée à une hiérarchie). On attend quelque chose du père ou de la mère de famille, d'un élève, d'un professeur, d'un médecin, etc... L'école maternelle consiste en grande partie à préparer les enfants à leur "métier" d'élève : écouter le maître/la maîtresse, respecter les consignes, agir selon un découpage du temps particulier... On est généralement choqué si quelqu'un ne joue pas le rôle correspondant à son statut.


Les deux derniers Présidents de la République française ont été confrontés à ce problème car ils souhaiter jouer leur rôle différemment. Les commentateurs trouvaient Sarkozy trop agité, trop "bling-bling", manquant de retenue, etc... Hollande avait annoncé vouloir être un Président "normal" (sous-entendu, Sarkozy était un président anormal), ce qui a été compris comme une volonté de rester un individu normal. Dans les deux cas, leur popularité en a pâti: les citoyens n'attendent pas d'un Président qu'il agisse comme un chef d'entreprise ou un people et encore moins comme un individu Lambda. Ils ont dû tous les deux se rapprocher de ce que la société attendaient d'eux et jouer leur rôle de manière conforme aux attentes.
 

 

Inculcation, imitation et interactions: les mécanismes de la socialisation

 


On peut distinguer trois mécanismes par lesquels sont imposés ou appropriés les normes, valeurs et rôles.
 
•    L'inculcation: il s'agit d'imposer par la répétition et la sanction un certain nombre de comportements. C'est particulièrement le cas au sein de la famille et de l'école pour les jeunes enfants. Dans ce cas, l'individu est passif, on lui impose les normes du dehors.
•    L'imitation: les individus imitent et observent les comportements et les rôles joués par ceux qui les entourent. C'est ce que nous faisons automatiquement lorsque nous nous trouvons dans une situation nouvelle. Les jeux de rôle auxquels se livrent les enfants en sont un bon exemple également: on joue à papa-maman, au docteur, à la vendeuse, etc... Dans ce cas, on est davantage actif.
•    Les interactions: c'est à travers les échanges (notamment entre pairs) que nous prenons en compte les goûts ou idée des autres ou que nous affirmons les nôtres. Ici aussi, l'individu est acteur de sa socialisation.

Les acteurs qui interviennent: les instances de socialisation


On peut distinguer des instances dont la fonction essentielle est de socialiser les enfants (famille, crèche, école) et d'autres qui y participent mais dont ça n'est pas la fonction essentielle (groupes de pairs, associations, médias, travail, couple).


•    La famille joue un rôle fondamental en la matière car c'est, chronologiquement, le premier lieu de socialisation et celui dans lequel nous passons le plus de temps. L'intensité des échanges et le climat affectif dans lequel ils se déroulent rendent la socialisation familiale particulièrement efficace. C'est là que se déroule une grande partie de la socialisation primaire qui va déterminer la manière dont seront vécues les expériences futures. La force de la socialisation familiale transparaît notamment à travers la transmission des valeurs, des croyances ou pratiques religieuses et des opinions et comportements politique. Sur ce dernier point, vous pouvez visionner ce reportage instructif sur la transmission des choix politiques:
"Famille, dispute et politique" : reportage de 55 minutes.
 
•    L'école républicaine a été mise en place à la fin du 19ème siècle avec l'objectif de former des citoyens français en diffusant des valeurs, des normes et des savoirs qui n'étaient pas forcément ceux diffusés dans les familles. Selon Durkheim, l'éducation a une fonction sociale et ne peut être laissée entièrement aux familles, soupçonnées d'enfermer l'enfant dans des croyances particulières qui divisent plutôt qu'elles ne rassemblent. Ainsi, l'école (et ses "Hussards Noirs de la République") insistait sur l'enseignement d'une histoire commune et de repères géographiques dépassant le village ou la région, sur la maîtrise de la langue française (contre les patois), sur la science (contre les superstitions et les religions), etc... L'école a toujours ce rôle aujourd'hui mais enseigne également les connaissances et compétences nécessaires à la compréhension du monde, à la poursuite des études et à la vie professionnelle.  


•     Les pairs (semblables) et les médias jouent également un rôle dans la socialisation, ce qui est particulièrement palpable chez les adolescents pour qui la pression du groupe est très importante. Les médias, qui suscitent une certaine méfiance, agissent souvent pour renforcer les normes sociétales mais peuvent aussi participer à leur évolution (visibilité des minorités, rôle des femmes, acceptation de l'homosexualité...).


•    Le couple : il s'y joue une socialisation par "frottement", les conjoints ayant à élaborer à partir des modèles familiaux qu'ils ont connu, un modèle commun. Cette socialisation secondaire aboutit généralement à des compromis, à la mise en place d'habitudes communes, à un rapprochement des points de vue, facilités par l'homogamie sociale: on se met généralement en couple avec des individus qui nous ressemblent socialement. C'est particulièrement important concernant la vision des rôles féminins et masculins dans le couple et pour la position commune qu'il faut adopter concernant l'éducation des enfants. Ici les interactions sont particulièrement importantes.


•    Le travail est une instance de socialisation centrale à l'âge adulte. Si l'inculcation peut exister (dans certains milieux professionnels comme l'armée par exemple), ce sont surtout l'imitation et les interactions qui sont importantes. Le jeune professionnel doit intégrer les valeurs, normes et rôles (il y a toujours une part d'implicite) qui correspondent à leur métier ou leur milieu professionnel. La socialisation anticipatrice permet de faciliter cette appropriation : les individus cherchent à acquérir par avance les valeurs et comportements de leur groupe de référence (celui qu'ils aspirent à intégrer) qui leur permettront de s'adapter et d'être accepté par leurs pairs. Le travail a également une dimension identitaire et permet aux acteurs sociaux de se définir et d'être reconnus et identifiés par les autres.
 

 

La socialisation différentielle, les inégalités et leur reproduction


On parle de socialisation différentielle pour souligner les différences de socialisation qui peuvent exister en fonction du sexe de l'enfant ou de son milieu social.


•    La construction du genre : le genre est une différence sociale qui s'ajoute à la différence biologique entre garçons et filles. Les rôles attendus d'un homme ou d'une femme sont différents, ce qui se traduit par une socialisation différente.


Dès l'annonce du sexe du bébé, des attitudes et des attentes différentes se mettent en place vis-à-vis de l'enfant, basées sur des stéréotypes. Cela passe par des éléments concrets comme la couleur des vêtements, la décoration de la chambre, les jouets offerts... mais également par une manière d'agir et des attentes variables de la part des adultes vis-à-vis des filles et des garçons : on est plus doux avec une fillette (qu'on pense plus fragile) qu'avec un garçonnet, certains comportements sont encouragés ou découragés (pleurer pour un garçon, chahuter pour une fille), les activités proposées sont différentes... Les enfants ont évidemment tendance à imiter le parent qui a le même sexe qu'eux et à vouloir lui ressembler, ce qui lui permet de construire et de revendiquer une identité masculine ou féminine. Il y a donc une tendance à la reproduction des rôles parentaux (le ménage pour les filles, le bricolage pour les garçons). Cette socialisation genrée détermine en partie l'univers des possibles en termes de métiers (certains sont fortement connotés comme des métiers masculins ou féminins car impliquant des caractéristiques féminines ou masculines: les infirmières et assistantes sociales sont presque exclusivement des femmes, comme si la volonté d'aider l'autre était une qualité féminine. Les ingénieurs sont presque exclusivement des hommes comme si la rigueur scientifique et technique était une qualité masculine.) mais ce n'est pas le problème principal qui est celui des inégalités.


Alors que les filles réussissent scolairement mieux que les garçons, elles sont moins nombreuses que les garçons dans les filières les plus prestigieuses et les plus compétitives, phénomène constaté également dans le milieu professionnel. Les sociologues constatent que l'éducation différentielle des filles et des garçons aboutit à une tendance à la sous-estimation de leurs capacités par les filles et à une surestimation des leurs par les garçons. Les filles s'interdisent certaines filières pensant ne pas être à la hauteur.


Pour développer: quelques documents et  un excellent documentaire qui explique bien ce mécanisme et ses effets sur les inégalités hommes-femmes :

 

Bienvenue dans la vraie vie des femmes



 
•    La reproduction des inégalités sociales


La force de la socialisation primaire se traduit également par la transmission aux enfants d'un capital culturel (c'est l'ensemble des ressources culturelles mobilisables par un individu): les connaissances dont on peut hériter dans sa famille, les bien culturels dont on peut disposer mais également l'habitus (manières de dire, voir, ressentir, les goûts et comportements propres à son milieu d'origine). En fonction de leur milieu social, les enfants héritent d'un capital culturel variable en contenu et en quantité. On constate que les enfants issus des parents les plus diplômés et donc des Catégories Socio-Professionnelles les plus élevées ont des pratiques culturelles plus fréquentes et plus proches de la culture savante qui est celle de l'école (lecture, théâtre, musées...) que les enfants ayant des parents peu diplômés. 
 
Pour connaître un exemple extrême de cette socialisation différentielle, je vous propose de regarder ce documentaire qui présente un dispositif de socialisation propre à la Haute Bourgeoisie parisienne (les rallyes): Baisemain et mocassins (40 minutes).   Partie 1 Partie 2
 
Bourdieu y voit un élément explicatif des différences de réussite scolaire des enfants en fonction de la PCS et du niveau d'étude de leurs parents. Les notes des élèves semblent influencées par leur milieu social et dès la sixième, les enfants de cadres réussissent mieux que les enfants d'ouvriers ou d'employés. Pour Bourdieu, le capital culturel des PCS les plus élevées est proche de la culture scolaire ce qui agit comme un élément favorisant l'adaptation des enfants aux attentes de l'institution scolaire (attitudes, maîtrise des normes scolaires, connaissances préalables). L'effet est inverse pour les enfants issus de PCS moins favorisées dont la culture familiale est éloignée de la culture scolaire et qui intériorisent par ailleurs que leurs chances de réussite sociale sont plus limitées:  les professions qui leur paraissent atteignables dépendent de celles de leurs parents et de leur entourage.
En traitant tous les enfants de la même façon, l'école participerait à la reproduction des inégalités familiales et des positions sociales, ce qui apparaît dans les tables de mobilité sociale.  Les élèves en échec sont orientés précocement vers des filières courtes et professionnalisantes (BEP, CAP, Bac Pro) quand les meilleurs élèves sont encouragés à poursuivre dans la filière générale et à poursuivre leurs études plus longtemps. Ils obtiennent donc des diplômes plus valorisés permettant d'occuper des métiers dans les PCS les plus élevées.
 Les élèves sont égaux en droit face à l'école mais il n'y a pas d'égalité des chances et les inégalités de position se reproduisent.
 
•    Pourtant, la socialisation primaire ne nous enferme pas dans la reproduction des modèles familiaux ou dans notre position sociale d'origine. C'est ce qui permet à la société d'évoluer et de se transformer. Ainsi, on peut remettre en question la répartition des rôles sexués que l'on a observé pendant son enfance, en s'appuyant sur d'autres modèles véhiculés par les pairs, l'école ou les médias. L'école peut également jouer son rôle de d'ascenseur social notamment lorsque les parents s'investissent dans la réussite de leur enfants. C’est ce que montrent ces textes issus du travail du sociologue Bernard Lahire (lire au moins le premier).


 L'Education Nationale tente également d'agir sur la question en favorisant la scolarisation précoce (dès 2 ans) des enfants, en accordant plus de moyens aux établissements situés dans des zones où les revenus des parents sont les plus faibles (les Zones d'Education Prioritaires :ZEP remplacés aujourd'hui par les établissements Eclair) pour réduire les inégalités face à l'école. Certaines Grandes écoles ont également mis en place des dispositifs favorisant l'intégration des élèves issus de ZEP. Ce reportage en trois partie suit ces étudiants dans leur parcours.
 
Enfin, pour illustrer ce que nous avons vu sur les ruptures entre socialisation primaire et secondaire, je peux vous conseiller ces deux films :
•    Ressources humaines de Laurent Cantet (2000).
•    Le fils de l'épicier d'Eric Guirado (2007). 



01/01/2016
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